Si l’on s’intéresse aux modèles économiques alternatifs en Tunisie, nous trouvons qu’il existe déjà quelques organisations qui tentent de repenser l’organisation de l’économie actuelle. Ces tentatives méritent d’être explorées davantage, dans le but de répondre à la question suivante : “ Comment ces organisations se distinguent-elles des entreprises conventionnelles ? “
Notre économie actuelle est principalement guidée par la croissance économique basée sur une logique productiviste et purement quantitative. Cette notion de croissance économique repose essentiellement sur deux facteurs : maximiser la production des biens commercialisables sur le marché, et fournir des services qui nécessitent une exploitation continue de nos ressources naturelles et des prestations de soins des femmes. Pourtant, les conséquences d’un tel modèle induisent notamment la pollution, l’épuisement des ressources naturelles et l’accentuation des inégalités sociales et de genre, et ne sont pas prises en compte par les indicateurs qui mesurent cette croissance. Ce sont souvent des acteurs publics ou civiques, notamment des femmes, qui doivent élaborer des solutions pour tenter de minimiser les dégâts écologiques, la reproduction sociale et les injustices qui y sont liées.
Face aux nombreuses crises écologiques et sociales récurrentes dont nous sommes témoins, de plus en plus de citoyen.nes comprennent que le modèle économique actuel atteint ses limites. Ils/elles prennent conscience qu’il est nécessaire de mener des activités économiques différemment, de manière plus respectueuse vis-à-vis de l’environnement et des besoins sociaux des communautés, et surtout plus juste au regard des contributions économiques des femmes invisibilisées.
Nous aspirons donc à une approche entrepreneuriale qui ne soit pas uniquement fondée sur la croissance quantitative et qui, de plus, reconnaît et comptabilise les véritables coûts de cette croissance, qu’ils soient environnementaux ou sociaux, qui sont principalement externalisés. Ces idées pour entreprendre autrement se distinguent fondamentalement des principes des entreprises conventionnelles, car elles invitent à visualiser le progrès de façon alternative via un partage des richesses, et fournissent des solutions innovantes aux problèmes sociaux et écologiques générés par la croissance économique.
La vision propre à l’entrepreneur.se social.e de contribuer à une transformation de notre économie se cristallise dans l’expression « entreprendre autrement ». Entreprendre autrement, c’est avant tout s’interroger, en tant qu’entrepreneur.se, sur la finalité de son action économique, qui vise principalement à créer un impact durable par l'harmonisation de trois piliers que sont l’économie, le social et l’environnement. En ce sens, la mise en pratique des valeurs de solidarité, de justice sociale et d'égalité de genre constitue le fil rouge du travail des entrepreneur.euses social.es. Contrairement à une entreprise conventionnelle, l’entreprise sociale réinvestit les bénéfices générés par sa participation à l’économie capitaliste pour créer un équilibre entre social et environnemental. L’objectif de l’approche de l’entreprise sociale d'entreprendre autrement est donc d’atteindre le rendement économique et social simultanément, tout en y intégrant davantage les aspects environnementaux.
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Open external content on original siteL’entrepreneuriat social dans le contexte tunisien et le rapport avec l'Économie Sociale et Solidaire
Depuis la révolution, différents acteurs des secteurs à but lucratif et non lucratif ont commencé à diriger l’impact de leurs activités vers le social et l’environnement. Les start-ups, les coopératives et les associations ont été les premières à chercher de nouvelles voies pour notre mode de production, de consommation, d’investissement et d’organisation. Par le biais de plusieurs lois votées après la révolution de 2011, l'État a entamé la création d’un écosystème plus favorable à ces acteurs, comme par exemple avec le décret 88 portant sur la création des associations, la loi relatives aux start-ups, la loi de crowdfunding ou encore la loi sur l'auto-entrepreneur. En 2020, la Tunisie a adopté une loi relative à l’économie sociale et solidaire qui pose un cadre légal pour ces entreprises. Mais en l’absence de plusieurs décrets gouvernementaux d'application qui devraient instituer les mécanismes de financement et les statuts légaux des entreprises sociales, le secteur demeure majoritairement peu opérationnel.
Cependant, la loi reconnaît l’existence des entreprises historiques de l’économie sociale et solidaire (comme les associations, coopératives, mutuelles ou fondations), ainsi que des sociétés commerciales (hors EURL) et les groupement d'intérêts économiques. Dans son essence, la notion d’entrepreneuriat social se réfère à ce deuxième groupe. Même si la loi ESS en Tunisie ne fait pas explicitement cette différenciation, beaucoup de discussions controversées ont lieu entre les différents acteurs de l’écosystème, pour tenter de statuer si l’entrepreneuriat social et l’économie sociale et solidaire décrivent une seule et même réalité. Dans ce débat autour de l’ESS, certaines voix s’élèvent toujours, notamment des acteurs de l’ESS historique telle que les coopératives, qui ne considèrent pas forcément l’entrepreneuriat social comme partie intégrante de l’ESS. Alors, faut-il vraiment faire la distinction entre entrepreneuriat social et économie sociale et solidaire ?
Bien que certaines entreprises se considèrent comme une partie de l’écosystème ESS, elles ne bénéficient toujours pas d’un statut légal, d’une forme juridique ou d’un label pour pouvoir y adhérer officiellement. Elles prennent alors la forme d’une entreprise conventionnelle par défaut, même si leur mission se définit par une finalité sociale, et par le réinvestissement des bénéfices dans des objectifs sociaux ou environnementaux. Cette réalité est celle de beaucoup d’entrepreneur.euses sociaux.ales en Tunisie. Le concept de l’entrepreneuriat social se chevauche alors parfois avec les organisations traditionnelles de l’ESS et transcende les formes juridiques, car une entité qui fonctionne comme une entreprise sociale peut choisir d’être enregistrée en tant qu’entreprise privée.
Cependant, il existe une différence notable entre l’ESS et l’entrepreneuriat social, à savoir les méthodes de gouvernance. Le terme gouvernance fait référence à un arrangement polyvalent pour guider et contrôler le comportement humain. La question est donc la suivante : qui dirige qui, et comment ? Selon ses principes fondamentaux, l’ESS requiert une forme de gouvernance collective, transparente et démocratique,. La loi sur l’ESS en Tunisie stipule d’ailleurs que toutes les sociétés de droit privé intègrent l’écosystème de l’ESS, si elles respectent la priorité de la finalité sociale sur le capital et le volontariat, ainsi que le principe d’une gestion démocratique.
Cela signifie qu’une entreprise sera considérée comme entreprise sociale selon la loi si elle est gouvernée collectivement par ses membres. Ce principe peut aussi être décrit comme « Peer Governance », puisque les décisions sont prises par tous les membres de l’entreprise sociale, qui fixent les règles et gèrent les conflits. Par conséquent, l’ESS estime que les solutions aux problèmes sociaux et environnementaux ne peuvent être apportées que par une action collective. Cependant, cette « peer governance » est difficilement atteignable pour une entreprise sociale au stade de démarrage. Sans être une condition sine qua non de sa création, il s’agit plus d’un objectif vers laquelle elle souhaite tendre. Celle-ci se focalise surtout sur l’idée de créer un impact social et sur la résolution des différents problèmes sociaux ou environnementaux, sans considérer si la résolution émane d’un groupe de personnes ou bien d’un seul individu.
Bien que ces discussions sur les définitions et les termes soient intéressantes, il est préférable de se concentrer sur ceux qui rapprochent les différents acteurs.
L'entrepreneuriat social et l'ESS ont en commun l'impact social, l'objectif d'améliorer les biens communs, et une mentalité de responsabilisation.. La culture du « do-it-together » (le faire ensemble) est ancrée dans l’entrepreneuriat social. Cette mentalité devient une nécessité dans le contexte politique et économique actuellement très fragile en Tunisie. Si l’Etat est à bout de souffle à cause du surendettement, la société a besoin de gens engagés qui prennent en main leurs destins, et rendent possible de nouvelles façons de travailler.
Dans ce contexte, il sera plus utile d’orienter la culture et l´esprit des nouveaux acteurs comme les entrepreneur.euses sociaux.ales, et des acteurs historiques comme les coopératives, vers une économie durable en Tunisie. Cette vision ne peut être atteinte que par une alliance entre les acteurs des différents écosystèmes qui répondent aux besoins et aux attentes de la population. Nous pouvons apprendre de ces jeunes entrepreneur.euses sociaux.ales, et comprendre comment ils appliquent des moyens commerciaux pour créer un impact durable et répondre à un besoin personnel ou collectif. L’efficacité relative aux ressources entrepreneuriales et la création des bénéfices sont importantes pour eux, mais ne constituent pas une fin en soi. Grâce à la création d’entreprises et l’innovation sociale, ils et elles poursuivent des objectifs sociétaux et sont également orienté.es vers le bien commun. Ils et elles montrent que l’augmentation des parts de marché et la promotion du bien commun centré sur l’épanouissement de la personne humaine ne s’opposent pas, mais se complètent. Se préoccuper des autres peut aussi permettre de faire avancer ses propres idées. En ce sens, ces jeunes entrepreneur.euses sociaux.ales sont des pionnier.es du changement culturel nécessaire afin de rallier une majorité, pour mettre en œuvre la transformation de notre modèle économique vers un développement durable, harmonisant la justice sociale, la durabilité environnementale et l'avancement de l'économie pour tous et toutes.